Les cris d'alarme et appels au sauvetage de la langue bretonne se multiplient depuis quelques années.
Cette fois ils prennent un tour dramatique : s'ils ne sont pas entendus on estime que cette langue pourrait
bien s'éteindre. Définitivement. Au grand soulagement de ceux qui s'emploient à la faire disparaître,
sans le cacher ou de manière plus ou moins hypocrite ; au grand dépit de ceux qui ont engagé un combat
désespéré pour la maintenir en vie. Et empêcher son éradication. Comment en est-on arrivé là ?
Le nombre de brittophones se situe aujourd'hui entre 250 et 300 000. Mais la grosse majorité d'entre eux
a plus de 60 ans. Comme environ dix mille disparaissent chaque année, il est facile de comprendre qu'à
ce compte dans une dizaine d'années on aura atteint un point de non retour.
C'est à partir de ce constat que le Conseil culturel de Bretagne a organisé le 22 mars 2003 le " Printemps
de la langue bretonne ", à Rennes. L'appel a été entendu puisque vingt mille personnes ont participé à
cette manifestation, la plus importante organisée sur ce thème. Les médias de l'hexagone en ont fait peu
ou pas mention. Certains expliquent ce silence par la volonté délibérée (mais non avouée) de taire l'événement
; d'autres se disent que tout ce qui se passe hors de la capitale, hormis les faits divers (crimes et
accidents), ne présente décidément pas grand intérêt. On notera quand même qu'une manifestation de
cinq cents à mille personnes devient à Paris et de façon quasiment systématique un événement national.
Pareille anomalie ne date pas d'aujourd'hui. On peut quand même s'interroger sur le fait qu'elle perdure.
Dire aussi que pratiquement tous les organes d'information parisiens (presse, radio, télévision) tendent à
se copier, à aborder avec une belle régularité et en priorité les sujets à la mode, est une banalité. Enfin
tous les observateurs spécialisés des médias soulignent ou déplorent leur dérive de plus en plus prononcée
vers un traitement de l'information visant avant tout à faire de l'audience ou à développer leur lectorat.
Sans trop se préoccuper de considérations éthiques ou déontologiques. L'un des moyens d'y parvenir
est de " faire people ". Comment va-t-on intéresser le pays en réalisant un reportage consacré à
vingt mille personnes descendant dans les rues pour défendre une langue, minorisée de surcroit ? Il faut,
si l'on peut dire, être sérieux !
Dans ces conditions il est bon de rappeler pourquoi les Bretons on jugé bon d'organiser leur " Printemps
de la langue bretonne ".
Le 22 mars 2003, les manifestants bretons ont exprimé des revendications résumées en quatre points.
-La reconnaissance inscrite dans la constitution de la République des langues minorisées et de l'assurance
qu'elles seront protégées.
-La possibilité faite à chacun qu'il peut apprendre les langues de son choix et les pratiquer librement dans
sa vie quotidienne.
-L'attribution de moyens au Conseil régional de Bretagne pour garantir l'avenir de la langue et la culture
bretonnes.
-La reconnaissance officielle de la pédagogie dite " par immersion ".
[ Une langue unique... ]
Au cours de l'année 1992, la nécessité de reviser la constitution est apparue évidente, afin de l'adapter à
la réglementation européenne. Ce que fera le Congrès, c'est-à-dire la réunion commune des députés et
des sénateurs, le 23 juin de la même année.
L'article 2 de la constitution mentionne donc désormais " La
langue de la République est le français et l'hymne national est " la Marseillaise ". Du même coup le breton,
comme les autres langues minorisées de l'hexagone ne bénéficieront pas d'un statut officiel, contrairement
à ce qui se passe dans les autres pays européns.
Ce qui constitue un frein considérable à leur
développement et, même, à leur survie. Et les tentatives pour ajouter une phrase en faveur des " langues
et cultures régionales de France " s'avèreront vaines.
Le refus entêté de la France (avec la Turquie) au sein du Conseil de l'Europe de ratifier la Charte européenne
sur les langues régionales ou minoritaires est aussi un obstacle de taille au développement de
ces mêmes langues.
Pourtant, cette Charte précise que " le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire, dans la vie
publique ou privée, constitue un droit imprescriptible ".
[ Indifférence... ]
En septembre 2003, le Parlement européen a également adopté une résolution pour demande, entre
autres droits fondamentaux, la protection des langues régionales.
Est-il besoin d'ajouter qu'elle s'est heurtée
à l'indifférence de nos dirigeants politiques ? De même que la convention sur la lutte contre la discrimination
dans le domaine de l'enseignement de l'UNESCO et la résolution du 17 novembre 1992 de ce
même organisme soulignant l'intérêt du bilinguisme fondé sur une langue régionale, " un accès démocratique
au savoir passant par la maîtrise de plusieurs langues ".
Ou, encore, la Déclaration universelle
de l'UNESCO toujours, du 28 novembre 2001 où il est dit que toute " toute personne doit pouvoir s'exprimer,
créer et diffuser dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle ".
Les Bretons avaient cru comprendre au début l'année 2003 que la situation allait enfin évoluer dans le
bon sens. Aux rencontres internationales de la culture, à Paris, le président de la République était en effet
intervenu pour suggérer la rédaction d'une convention mondiale sur la diversité culturelle proclamant "
l'égale dignité de toutes les cultures " et précisant " les droits et devoirs des Etats, à savoir, le respect du
pluralisme linguistique et la mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde ". Sans
compter que, en 1996 déjà, à Quimper, le président avait déjà exprimé une promesse sans nuance en
faveur des langues régionales.
Paroles verbales : en France le trop célèbre article 2 de la constitution ne permet pas de concrétiser un
tel projet.
[ La dernière chance... ]
Face à tous ces blocages, lors de la manifestation de Rennes, le président du Conseil culturel de
Bretagne avait proposé dans son intervention que le Conseil régional de Bretagne prenne l'affaire en
main, comme l'autorise les nouvelles lois de décentralisation. Il s'agissait de déclencher une sorte de plan
Orsec de la langue bretonne. En demandant pour cela à l'Etat un transfert de compétences et de moyens
pour tout ce qui concerne la culture et l'enseignement du et en breton.
Le Conseil régional ne crut pas nécessaire de donner suite à cette requête. Mieux (si l'on peut dire),
quelque mois plus tard, ce même Conseil régional dans son plan " Bretagne 2015 ", ne jugeait pas utile
de mentionner la nécessité de défendre la langue.
Pendant ce temps, l'enseignement du breton et des autres langues régionales continue de se faire dans
la plus grande difficulté. La formation des maîtres n'est pas assurée comme elle devrait l'être, le nombre
de postes proposés est très insuffisant au regard de la demande, des enseignants compétents en breton
sont nommés hors de la région, voire… aux antipodes, l'ouverture de nouvelles classes ici et là se fait
avec la plus grande difficulté ou est refusée, le matériel pédagogique fait défaut, etc.
En Bretagne, neuf mille enfants fréquentent malgré tout les classes bilingues de l'enseignement public,
privé et de Diwan. Le refus par le Conseil d'Etat, en novembre 2002, d'accorder un statut public à cette
dernière école compromet sérieusement son avenir, mais aussi son système d'enseignement par immersion…
pourtant vivement encouragé pour le français aux Etats-Unis et au Canada.
On estime que, pour assurer la survie de la langue, le nombre d'élèves accueillis dans les écoles bilingues
devrait se chiffrer au moins à vingt-cinq mille. On est loin du compte.
Si l'on en croit les sondages (lire par ailleurs), les Bretons sont très attachés à leur langue.
Mais un simple attachement ne suffit pas. Le sauvetage du breton passe aujourd'hui par une vraie prise
de conscience par la population de la situation dans lequel il se trouve. Il passe aussi par une volonté collective,
tant de la population que des décideurs, afin que soient prises les mesures qui s'imposent pendant qu'il en est encore temps...